mardi 13 mars 2018

Trois Anne ou Triptyque




Aujourd'hui, j'ai travaillé sur un portrait d'Anne Frank, cette jeune fille juive qui a vécu enfermée dans une annexe avec ses parents et sa soeur, Margot, durant la seconde guerre Mondiale. 

Je suis simplement tombée sur un article ce matin. Selon cet article, c'était hier le jour de l'anniversaire de son décès (12 mars 1945) - chose apparemment discutable, quand on se renseigne sur ce point (A lire ici). 

Je me souviens parfaitement avoir lu son journal, j'avais moi-même 14 ans à ce moment-là et j'étais très touchée par son histoire et par cette période globalement.

Et j'ai choisi, comme approche artistique, une photo d'elle que j'aime particulièrement. Celle qui était sur la couverture du livre  Journal de Anne Frank, avec un message écrit de sa main  :


Dans ce visage encore poupon, j'y vois un voile de sérénité teinté d'espoir. Ce désir de  vivre, loin des agitations politiques, dans une enfance bénie, prête à tout pour vivre des rêves fous. 


De mon travail de ce matin, il va sans dire que je n'ai pas recherché la ressemblance. 


Bon... Je mens.

J'aurais bien aimé ; mais mes doigts en ont décidé autrement et j'aime bien laisser une marge de manœuvre à leur instinct. 

"Vous ne voulez pas reproduire à l'identique ? Eh bien soit !" 

Ma première approche est donc celle-ci :

MATURITÉ

Réalisée au stylo bille et à l'encre, elle se trouve effectivement assez éloignée du modèle d'enfant ci-dessus. 

Mais j'apprécie cette grande nuance ; un autre visage s'est dessiné, une vivacité s'en dégage, une joie intérieure également, dû certainement à son sourire esquissé. C'est le visage de la Maturité.

Ensuite, conjointement, (c'est à dire réalisé plus ou moins en même temps ; je passais d'un dessin à l'autre), deux autres visages se sont formés sous mes doigts :

JEUNESSE
ENFANCE



Le visage de la Jeunesse avec l'image d'une jeune fille ou d'une très jeune femme, réalisé à l'encre, puis au fusain et peinture à l'eau. Se dégage une chaleur dû aux tons utilisés et comme sa mère la maturité, cette paix dans l'expression, loin, bien loin des affres de la guerre. Un certain exotisme également, un regard venu d'ailleurs (Loin de nos contrées Européennes).

Et enfin, l'Enfance ! J'ai utilisé le fusain et la peinture à l'eau. C'est dans l'ombre qu'apparaît l'enfant, le regard perçant, comme une petite lumière vive dans l'obscurité. 

Trois Anne, ou un triptyque d'une posture identique : 

  1. Trois visages différents, 
  2. Trois périodes de vie, 
  3. Trois différentes approches dans le matériel utilisé. 

C'est un hommage que je rends à Anne Frank, pour son journal qui m'a fait autant sourire que pleurer.



Amani Lizah Glaise 




dimanche 11 mars 2018

Le corps




L'étude du corps et du corps nu en particulier, donne le moyen de voir au-delà de l'apparence purement physique d'un modèle. 

Il me semble que le corps est finalement transcendé, il montre bien davantage que des formes, que des bras, des jambes ou un sexe. 

Il va bien au-delà de toutes les perceptions terre-à-terre, réduisant le corps juste à son aspect physique.

Les formes - toutes les formes - sont gracieuses. Du corps mince au corps épanoui dans sa chair, l'histoire de ces corps nous amènent à conscientiser un certain vécu, une certaine psychologie. Pourquoi un corps est-il comme ceci ? Qu'est-il arrivé à ce corps et à cette personne pour que ce corps soit comme cela ?

Avons-nous seulement conscience que nos propres pensées influence notre posture et la façon dont le corps s'exprime ? 

Le corps est un véhicule mais il est bon de le sublimer, de le rendre plus qu'utile à la vie  et à lui rendre hommage, plutôt qu'à le rendre honteux, peu importe ce qu'il est. 

Tous les corps sont magnifiques quand on sait les regarder avec bienveillance

C'est ainsi qu'il est possible de garder sur soi-même un regard plus complaisant. Il n'est pas toujours facile d'accepter un bourrelet, un défaut qui fait partie intégrante de nous. Il s'agirait plutôt que ce trait physique soit accueilli comme il se doit - comme banal en somme - et nous pourrions porter un regard non critique sur celui-ci. 

C'est libérateur !

Les diktats du physique nous ont fait longtemps la vie dure. Mais chaque corps est magnifique quand on sait lire dans chacun d'entre eux de manière appropriée : sans jugement de valeur.




Amani Lizah Glaise 



vendredi 9 mars 2018

Eveil






Danse dans le tunnel noir où le son est amplifié
Où ton corps raide se délie et se déchaîne.
Ton oreille se prélasse sur des sons stupéfiés.
Tes pieds caracolent pour se défaire de leurs chaînes.

Lourdes et opaques, ne scintillant plus dans la nuit,
Tes chaînes tombent à terre dans un grand bruit sourd.
Ton rire éclate tel l'éclair de l'orage qui s'enfuit
Aussi strident que le cri de l'éléphant qui accoure.

Ta danse s'apaise et s’enivre jusqu'à ce que la pluie
S'emmêle dans les rigoles clapotant sous tes pieds !
Tu frappes le sol de toute tes forces, ravalant depuis
Tes vies antérieures la colère refoulée.

Tu abîmes tes poings et tu craches ta rage
Les parois du tunnel pierreux subissent tes coups,
Tournoyant sur toi-même presque à la nage
Ravalant ta fierté, tu ne tiens plus debout !

Tu te laisses enfin aller, le corps aux muscles éclatés
Évaporé l'effroi de la glaciale tempête
Les yeux fermés, tu laisses glisser l'eau crottée
Marmonnant doucement des phrases fades, désuètes.

Ton Être se nettoie, des pieds jusqu'à la tête
Le coeur purifié des anomalies entravant ton âme
Dégringolant sur ta peau en striures imparfaites
Tu retrouves en toi-même ton homme et ta femme.

Tu te réconcilies avec l'air, l'herbe et les fleurs
Tu sors du tunnel, jusqu'à oublier toutes tes chaînes
Tu t'installes affamé, assoiffé et en pleurs
Devant l'immensité et la beauté pérenne.



12 avril 2016


Amani Lizah Glaise 




vendredi 15 novembre 2013

Mon AAD

             


Je suis née à nouveau grâce à ma dernière fille. Elle est arrivée chez nous et je me sens désormais, totalement différente. J'ai eu ma victoire, j'ai pu aller au bout de mon souhait et je sais que sans aide, sans soutien, je n'y serai pas parvenu. 

Alors j'ai décidé d'assumer jusqu'au bout mes choix qu'ils plaisent ou qu'ils ne plaisent pas. Qu'on accroche ou qu'on accroche pas ; ceux-là restent mes choix. Avoir le choix aujourd'hui, relève presque de l'exploit, car le choix, finalement nous l'avons peu. Beaucoup le disent, la plupart du temps : "je n'avais pas le choix ; c'était comme ça, pas autrement...". Eh bien, moi, j'ai eu cette chance d'avoir ce choix. Et ce choix, a bien failli m'échapper.

Après avoir vécu une césarienne, puis un accouchement par les voies naturelles, autrement appelé très poétiquement AVAC (Accouchement Vaginal Après Césarienne), puis une fausse-couche précoce, je suis retombée enceinte en début d'année 2013 et j'ai choisi un accompagnement tout à fait différent de ce que j'avais choisi pour mes autres grossesses. Tellement déçue, dévalorisée, infantilisée, humiliée, non respectée dans mon corps et le reste, je ne pouvais plus aborder la maternité comme quelque chose de purement médical. Il me fallait une approche humaine, saine, exempt de tout comportement intrusif et manipulateur. Je voulais du VRAI, de l'AUTHENTIQUE, du RESPECT à l'état pur. J'ai choisi un accompagnement global avec des sages-femmes libérales et j'ai vu là, toute la différence. 

Dés le premier entretien, une confiance s'est installée, je l'ai senti tout de suite. La sage-femme m'a expliqué comment ça se passait, comment elle et ses collègues fonctionnaient, c'était clair ; limpide même. J'ai dit "oui" pour le meilleur ou pour le pire car le pire, c'était de toute façon accoucher en structure et elles ne prennent aucun risque à ce niveau. C'était un contrat normal et moral entre elles et moi.

J'ai eu la chance, de vivre le meilleur. 

Début septembre 2013, une lettre parvient à chacune de mes sages-femmes, leur intimant de payer cette assurance responsabilité civile qui leur fait défaut car très élevée (20 000 euros par an et par sage-femme, sachant qu'elles gagnent à peine plus cette somme sur une année complète). Cela fait des années qu'elles pratiquent les accouchements à domicile sans cette assurance, jusqu'à présent, plus ou moins tolérées, aujourd'hui plus du tout. La chasse aux sorcières vient de commencer...

Ayant vécu dans le doute tout le long de ma grossesse, avec des soucis de tous ordres entre soucis de santé au mois de mai, soucis de travail pour moi ensuite, déménagement, et j'en passe... j'arrivais en septembre, à me dire que je tenais enfin le bon bout, dernière échographie officielle faite avec une sage-femme fort sympathique, rendez-vous unique ; mon mari mis à contribution pour cette odyssée d'une heure et demi à voir notre enfant sous toutes les coutures ; elle, bien positionnée pour une sortie réussie ; enfin, tout devait enfin nous sourire !

Oui mais non.

Cette histoire d'assurances nous a plongé sous une nouvelle montagne de doutes, les sages-femmes ayant reçu ce courrier ne pouvant plus pratiquer d'AAD au delà de la date butoir du 1er octobre 2013.

Mon terme étant au 11 octobre, d'un coup d'un seul, tout s'écroulait. Mon souhait, comme tous ces mois de préparation, à faire des trajets en train pour les rendez-vous mensuels, tout, tout, tout était encore remit en question.

Ce dernier mois de grossesse a été vecteur de stress et d'inquiétudes, j'ai espéré alors accoucher fin septembre, m'armant d'une  volonté de fer et buvant 3 à 4 tasses de tisanes de feuilles de framboisier quotidiennement, prenant assidûment les granules d'homéopathie préparant mon corps à l'enfantement. Les derniers jours, malgré la douleur qu'insufflait mon corps, je marchais toujours un peu plus vite pour emmener ma grande à l'école, je m'acharnais mentalement contre cette assurance qui allait réduire à néant toutes mes attentes comme celles de nombreuses mères ayant fait ce choix tout comme moi... Je m'insurgeais me rangeant du côté de mes sage-femmes si ouvertes, si disponibles, si humaines...

Le 30 septembre, dernier jour avant la débâcle, je rédigeais un texte pour participer au soulèvement, au mouvement pour l'accouchement à domicile via le réseau social bleu, et je rédigeais un texte à faire parvenir à une émission de radio (Je ne sais même pas si mon texte a été diffusé) mais cela a déchargé mon esprit et j'ai accepté finalement cet état de chose. Ma fille ne voulait pas naître en septembre et le moindre mal étant d'accoucher en plateau technique à une heure de mon domicile, dans un autre département, mes sages-femmes ayant encore et malgré tout ce recours, fort heureusement ! 

" Je suis une maman de deux enfants et enceinte de 8 mois et demi. Je viens vous parler de l’accouchement à domicile. Suite à deux accouchements en maternité qui se sont mal passés, j’ai fait le choix de vivre autre chose, et j’ai choisi un accompagnement global avec des sages-femmes libérales soucieuses de mon parcours, mon bien-être, celui de l’enfant que je porte, répondant à toutes mes questions sans limite de temps, respectueuses en tout et pour tout et connaissant bien leur métier. J’ai mis longtemps à me décider, ce n’était donc pas un caprice mais au contraire une réflexion profonde et je tenais énormément à l’aboutissement de mon projet en sachant néanmoins, qu’en cas de problème, je serais transférée dans une maternité. 
Mon terme est prévu pour le 11 octobre 2013 et c’est tout mon projet qui tombe à l’eau à cause d’une réclamation d’assurance de 20 000 euros par an et par sage-femme. Evidemment, mes sages-femmes n’ont pas les moyens de s’assurer. Au-delà du 1er octobre 2013, elles ne pourront plus nous accompagner dans notre démarche sous peine d’amendes, et de radiation alors que cette assurance exorbitante ne correspond pas aux actes qu’elles pratiquent, vu le suivi qu’elles prodiguent, elles ne prennent aucun risque pour la mère et pour l’enfant puisque si problème il y a, il y a transfert immédiat. Oui, nos sages-femmes doivent s’assurer, mais que ces assurances soient en rapport avec ce qu’elles pratiquent !

J’ai espéré jusqu’à aujourd’hui, 30 septembre 2013, pouvoir accoucher chez moi mais mon bébé ne se décide pas. Alors, oui, c’est tout mon projet qui tombe à l’eau et ma colère est d’autant plus grande, que c’est encore mon choix de mère qui est bafoué, toute une préparation qui est totalement mise en échec. Une pétition sur change.org  circule sur internet afin de changer tout ça. Pour moi, c’est foutu ! Mais je souhaite profondément que les femmes pourront continuer de choisir ce qui leur convient en matière d’accouchement, peu importe l’endroit ! Merci à tous d’intervenir !!"

Le 30 septembre au soir, après finalement avoir lâché prise sur ce désir viscéral d'accoucher à la maison, et accepté le fait de faire le trajet jusqu'à la maternité avec plateau technique, des contractions douloureuses firent leur apparition. Je devrais même plutôt dire, des sensations désagréables comme me disait l'une des sages-femmes qui m'a fait les cours de préparation à l'accouchement, pour ne plus voir ces contractions comme des douleurs, quelque chose qui fait mal. D'ailleurs, au début, c'était plutôt vrai, c'était plus désagréable que vraiment douloureux.

Ces sensations désagréables ont duré toute la nuit, m'empêchant de dormir et s'accentuant d'heure en heure. A 4h51 du matin, je rédigeais un message à ma mère pour l'informer de la situation, sentant au final que les choses semblaient prendre une certaine envergure. Il était convenu qu'elle vienne s'occuper des enfants, je ne préférais rien laisser au hasard, quitte à ce qu'elle vienne pour rien, si les événements devaient se précipiter. De même, pour mon mari, il partait travailler ce matin-là, avec la consigne de rappliquer vite fait bien fait si bébé décidait finalement de se presser. Ma grande fille resta à la maison ce jour-là, me sentant incapable de faire le trajet jusqu'à l'école et je priais pour que ma mère prenne le premier train qui devait la mener chez moi !

Et ma mère prit le premier train, j'en fus soulagée car elle pensait au départ prendre, le second ! Mais je crois qu'elle comprit l'urgence et heureusement ! Elle insista aussi pour que j'appelle mes sages-femmes. N'étant pas certaine de l'avancement du processus, je n'appelais pas sur le numéro d'urgence mais sur le numéro ordinaire, celui d'H. Elle me rappela et me laissa un message pour me dire qu'elle passerait vers 17h30. OK, ça irait !

 Ma mère arriva en début d'après-midi. Sa présence me soulagea grandement car après ma nuit blanche, j'étais bien en peine de répondre aux sollicitations de mes enfants ! Je regardais ma série préférée du moment "Les pilliers de la Terre" tout en notant les heures et les minutes de mes contractions. Celles-ci n'étaient pas rapprochées, soit tous les quart d'heure voire toutes les dix minutes, parfois moins, parfois plus ; bref, rien ne présageait que l'accouchement fut imminent. Je les notais, toutefois, cela m'aidait intérieurement, j'avais fais pareil pour mon fils, trois ans auparavant ! Ces contractions continuaient de s'intensifier en puissance, je commençais à faiblir sérieusement et le bonheur d'avoir sa maman proche, c'est qu'elle a toujours la bonne idée de rapporter des choses bonnes à manger. Juste avant de venir à la maison, elle avait pris soin d'aller à la boulangerie toute proche et de ramener des chocolatines et autres viennoiseries.

Je tentais une sieste histoire de me requinquer, mais au bout d'une demie heure, je compris que les contractions m'empêcheraient de me reposer correctement.

En fin d'après-midi, toujours devant ma série, installée sur un petit matelas au sol, je vivais mes contractions de plus en plus difficilement. Je ne regardais plus vraiment, j'écoutais plus ou moins, j'attendais avec impatience H qui tardait un peu, cinq minutes, dix minutes ; ma mère venant de temps en temps me voir, l'air un peu inquiet de me voir si mal, moi limite au bord des larmes, à me dire que sans plus de soutien, je ne tiendrai pas... 17h45, quelqu'un frappa à la porte et ma mère ouvrit ! C'était elle !! Elle arriva souriant, vint dans le séjour, déposa sa mallette, me regarda sur mon matelas, j'essayais de sourire mais en fait, je fondis en larmes. Elle s'approcha tout de suite vers moi et me prit dans ses bras, en me disant que ça irait, qu'elle allait rester, que je n'étais pas seule. Là, je fronçai les sourcils, quoi ? Elle restait ? C’était vraiment bon ? Elle me répéta que oui, le moment était vraiment là selon elle. Je me sentis instantanément en confiance. Elle me dit de laisser tomber ma feuille où je notais l'espacement de mes contractions, que je n'en avais plus besoin. Alors oui, je laissais tomber de bonne grâce ! Elle était là, plus besoin de tout ça ! Et elle me dit aussi, que j'allais faire ça, chez moi... ah bon ? Chez moi ?! C'est vrai ?!

Elle m'ausculta pour voir où j'en étais, et j'étais dilatée à 3. J'étais un peu surprise quand même, dans ma tête, je pensais faire comme pour mon fils, soit une éternité de contractions (Des jours quoi) et là, même si ce n'était pas rapide non plus, ça avançait !

Je déménageai avec elle pour aller dans une atmosphère plus intime, direction ma chambre à coucher, que j'avais préparée pour mon accouchement à domicile, que j'avais décorée depuis peu dans ce sens là. On avait emménagé durant l'été et ce fut la dernière pièce à être prête, j'avais acheté quelques accessoires courant septembre ; des bougeoirs, un plafonnier, quelques photos, de la musique... Ambiance tamisée. H m'avertit qu'elle allait appeler sa collègue pour qu'elle vienne aussi. Et un peu plus tard dans la soirée, M, une autre sage-femme qui m'avait fait la préparation à l'accouchement et L, une étudiante sage-femme, étaient venues nous rejoindre. J'étais très contente de voir M, je vins l'embrasser à la porte de chez moi et faire connaissance avec L, douce et agréable à première vue. H m'avait demandé au préalable si sa présence me gênait et j'ai dis que si ça pouvait lui servir d'être là pour ses études et pour son expérience, je n'étais pas contre du tout.

J'étais bien, j'arrivais à vivre les contractions, je respirais, mes petites sages-femmes à m'aider en respirant avec moi, en faisant des AAAAAAH pour m'accompagner et pouvoir gérer au mieux. Ma mère gardait les enfants qui allaient et venaient tout joyeux du séjour à la salle de jeux ; ils savaient ce qui se tramait, ils étaient un brin surexcités et moi, heureuse de les entendre, de les savoir là tout proches alors que je voulais les faire partir au départ, l'un avec ma mère, l'autre avec ma belle-mère.... chose qui m'avait parue bien inconcevable le jour-même... En y réfléchissant, c'était plus simple de les garder à côté ; ils étaient rassurés, et moi aussi ; complètement.

Mon homme rentra du boulot et il avait fait un détour pour aller chercher les sièges-autos qui nous manquaient pour faire le trajet jusqu'au plateau technique à 1h de route. H et M l'accueillirent dans la bonne humeur, moi j'étais toujours bien dans cette ambiance feutrée, savoir mon homme rentré enfin finit de me rassurer et je pouvais enfin me concentrer pleinement sur l'expérience numéro trois, mettre mon bébé au monde AT HOME sans aucune intervention et... sans péridurale ! Il se mit sur son 31 rien que pour moi, un bon jogging et des chaussettes haute-compétition et après avoir fait manger les enfants, il vint nous rejoindre pour se mettre au boulot et m'accompagner lui aussi dans cette expérience hors du commun. H et M me firent un petit monitoring pour savoir comment allait notre puce ; comme d'habitude, elle se portait comme un charme, comme d'habitude, elle n'aimait pas qu'on l'embête dans sa piscine qui allait bientôt faire un avis d'expulsion.

La soirée avançant, les contractions devinrent vraiment de plus en plus difficiles à gérer. Tantôt je hurlais aigu, tantôt je faisais comme un râle caverneux, mais l'épuisement d'une première nuit blanche, d'une journée complète de contractions allant croissant niveau intensité et la préparation d'une nouvelle nuit blanche m'apparaissait comme vraiment dure à vivre. Je n'avais plus qu'une hâte, que bébé sorte et que tout cela se termine au plus vite. Les enfants regardaient un dessin animé dans le séjour, où on avait préparé le canapé en lit en vue de les faire dormir tous les deux là-bas, soit suffisamment loin de la chambre pour qu'ils ne m'entendent pas. Et ils ne m'entendirent jamais tant ils dormaient bien. Ma mère, par contre, à quelques cloisons de là ne pouvait pas dormir. Elle était le témoin discret de notre accouchement à mon homme et moi, elle me dira plus tard qu'elle priait, cette-nuit là pour que je vive cet heureux événement le mieux possible, que je souffre raisonnablement si c'est possible de le dire ainsi... enfin bref, elle était avec moi corps et âme !! Elle m'avouera plus tard qu'elle avait aimé être là, précisément à ce moment-là, comme une petite lumière dans le noir, enchantée de vivre cet instant ultime de la rencontre avec notre enfant, chose, qui se faisait si naturellement dans le temps...

Et moi, en prise avec la douleur toujours s'intensifiant, surprise de constater que contraction après contraction, elle pouvait être encore plus forte, je soufflais et criait ce "maman !" telle une petite fille qui veut s'accrocher à une bouée de sauvetage ! Ce lien finalement, coupé à la naissance, reste et perdure au delà des années...

Mes sages-femmes me massaient, m'encourageaient, me donnaient des indications, certaines à elles-trois que j'allais y arriver. Moi, je faiblissais, je ne demandais qu'à dormir, exaspérée par la longueur du travail, par la douleur, par le fait d'avoir si peur... Oui, je crois que c'était tellement long car je doutais cruellement en mes propres capacités, je doutais de mon corps... Et... c'était aussi la première fois que j'allais ressentir cette ultime étape, la naissance de mon enfant, la sortie et la fin du tunnel et la peur, la peur d'avoir encore plus mal me tenaillait et plus je luttais contre l'idée d'une douleur plus forte, plus la douleur persistait... au lieu de lâcher prise...

A un moment, H dut partir car un autre accouchement était en cours ! J'étais contente d'apprendre qu'une maman qui était à son dernier jour du terme allait enfin vivre sa rencontre avec son bébé ! Elle n'eut pas à attendre longtemps par contre vu que son bébé est né avant l'arrivée de H. Tout allait bien pour elle et son petit, deux heures plus tard, H revint vers moi pour finir de me soutenir dans mon combat personnel avec moi-même !

Mon mari, quant à lui, maître de lui, m'aidait au delà de tout ce que j'avais espéré. Il assura comme un chef, sachant qu'il n'avait pas le droit de dormir, comme je lui avais demandé, tint bon malgré sa journée de travail. Il me massa, il resta près de moi à m'encourager aussi. Et dans les derniers moments, quand d'épuisement, je ne tins plus, que je demandais péridurale et césarienne, je lui pris le cou entre mes mains et je lui en voulus de m'avoir fait ce bébé que je désirais tant ! Pourquoi, est-ce toujours moi qui souffre !! Souffre toi aussi ! J'ai dû serré un petit peu son cou... Oui, j'avoue !

Et ce geste malheureux, M l'a vécu aussi, mais en souriant, s'esquiva de mes mains qui n'agissaient que par dépit. H me parla un moment, un peu d'une façon autoritaire, elle me répéta que j'allais sortir ce bébé, qu'il fallait que je le fasse et que j'allais y arriver ! Toutes positions testées maintes fois, elles sortirent de je ne sais où, un petit siège spécial et comme une alternative non déplaisante, je m'installai sans force, soutenue par mon homme, derrière moi. Je sentis vaguement que nous y étions. Une envie de pousser irrépressible mais extrêmement douloureuse m'assaillait. Avec la gravité, je sentis d'un coup la tête du bébé descendre mais ce n'était pas fini. J'étais très surprise par cette sensation, mais je devais continuer même si ça me rebutait... M, me dit qu'elle voyait une petite tête pleine de cheveux, elle hallucinait sur les cheveux qui tombaient. Elle me demanda si je voulais toucher de ma main et j'ai refusé, je ne sais pourquoi... J'étais si fatiguée, une fatigue tellement présente, tellement écrasante que je me demandais où j'allais encore trouver la force de continuer... et pourtant, je n'eus vraiment aucun choix ; il fallait la chercher cette force, elle vint à moi de toute façon et je poussais encore une fois, un peu trop fort peut-être, les sages-femmes me disant d'y aller plus doucement... trop tard, elles réceptionnèrent un petit boulet de canon mouillé, qui trempa les pieds de tout le monde ! Un bref soulagement pour moi, épuisée de regardais ma petite fille aux cheveux noirs mais je refermais mes yeux. Mon mari réceptionna sa fille, il la compara à notre grande, née 6 ans et demi plus tôt, c'était vrai, un peu la même bouille ; moi aussi j'étais subjuguée !



On m'installa mieux sur le lit, mon homme toujours derrière moi avec notre fille fraîchement arrivée qui se soulagea très rapidement sur son père inondé de méconium. Puis, je pris aussi ma fille contre moi, et on attendit que le cordon cesse de battre pour que l'heureux papa le coupe. Puis vint le temps de l'attente pour la sortie du placenta. J'avais mal encore, j'avais espéré qu'une fois le bébé sorti, cette douleur me laisserait enfin tranquille mais ce ne fut pas le cas. J'avais du mal à la supporter après ces longues heures à souffrir sans cesse. Puis, dans une nouvelle contraction, le placenta sortit avec l'aide de M qui m'avouera un peu plus tard avoir aidé à le chercher. Les deux sages-femmes mirent le placenta dans la bassine que j'avais réservé à cet effet et elles semblaient soucieuses.H, revint vers moi et m'affirma qu'elle allait devoir m'embêter encore un peu. Elle devait faire une révision utérine afin de vérifier que le placenta était sorti complètement et qu'il n'y avait pas de débris dans l'utérus. Cette intervention fut évidemment très douloureuse ; H s'en excusa tout le long. Je fis une légère hémorragie qui s'arrêta spontanément.

Par précaution, elles décidèrent de me transférer à la maternité où j'étais inscrite en cas de problème. Elles appelèrent donc le samu. Entre temps, j'avais ma petite fille sur moi et elle tétait maintenant comme une chef. Toujours épuisée et ressentant mon corps comme une épave douloureuse, j'avais un peu de mal à savourer ces premiers instants. Le fait d'envisager de partir, ne m'aidait pas non plus, mais je sentais qu'il fallait, qu'elles avaient raison de ne prendre aucun risque. J'avais déjà vécu le plus beau, la naissance de mon enfant à la maison.

L'épisode à la maternité fut d'une nouvelle brutalité pour moi, rappelant des souvenirs de froideur, de regards distants et méprisants ; des paroles de dédains ; deux femmes m'invectivèrent : "Madame, c'est dangereux de faire ce que vous venez de faire, c'est totalement inconscient !" et moi de lever les yeux au ciel, comme si c'était bien le moment pour moi de leur faire un cours d'humanité ! L'une d'elle m'appuya sur le ventre pour vérifier la tonicité de mon utérus et elle me fit un mal de chien ! Ne supportant plus aucune sensation douloureuse après tout ce que j'avais vécu, je retirais sa main par trois fois. Elle m'avertit que si je continuais, elle serait dans l'obligation de me refaire une révision utérine. Mon corps réagit aussitôt par des tremblements incontrôlés, des larmes de dégoût coulèrent de mes joues. Je restais silencieuse, ma gorge totalement nouée. Mais où était ma chère H ! J'espérais tant qu'elle soit près de moi... Mais personne ne voulait la faire entrer. J'étais seule en proie à l'amertume. Me voyant si mal, les deux femmes se ravisèrent, se radoucissant, comprenant aussi le pourquoi de mon choix, me disant doucement que ce n'était pas ce que je voulais. Aaah Dieu soit loué, elles s'en rendaient donc compte !

Après quoi, on m'installa durant des heures dans la salle de réveil faute de chambre. J'attendis qu'on m'autorisa à sortir, ce qui fut le cas à 11h du matin seulement. Je devais pourtant rester deux heures m'avait-on dit... Et ce fut un dédale de passages en tout genre, de bruits, de femmes au téléphone ou discutant de tout et de rien. J'étais les deux bras attachés, le gauche au tensiomètre, le droit, à la perfusion. Toujours autant en proie à l'épuisement, je ne pus à aucun moment me reposer... et surtout, j'avais tellement envie de rentrer chez moi. Je pensais à mes enfants qui devaient être debout, à mon homme attendant avec notre fille dans le hall de la maternité entouré de mes deux sages-femmes qui attendaient, elles aussi... Je fis comprendre que je voulais rentrer chez moi et je signais une décharge afin de le faire le plus vite possible. J'allais bien, même si faible physiquement, mais j'étais heureuse au fond d'avoir réussi l'impensable pour moi ! J'étais si fière ! Même ce petit scénario d'enfer à la maternité n'enlèvera pas ce bien-être intérieur que je ressentais et que je ressens toujours.

Arrivés à la maison, nous montâmes vite voir mes enfants qui étaient toujours avec ma mère. Les deux, le sourire aux lèvres découvrirent leur petite soeur, fous de joie de savoir qu'elle était née pendant qu'ils dormaient !





Quant à moi, je remercie infiniment celles qui m'ont laissé ma chance. Je les adore.

                                      


mercredi 13 juin 2012

De l'amour lancé dans les airs




Amani Glaise


De l'amour lancé dans les airsjuin 2012



Il était bon le temps des histoires de Pépé
Un doux sourire enjôleur au coin des lèvres
Des mots d'amour dont personne ne se sèvre
Déclaration enflammée ou belles épopées !

Poète sensible, plein de charme ; le coeur battant
La larme facile de musicien talentueux
Dévoué, accessible, pas loin d'être vertueux
Ivre d'Amour pour Mémé ; et, se débattant
Contre les années et les soucis de santé,
La vieillesse qui laisse des traces indélébiles
Au choix : vous rend chétif ou bien vous rend fébrile !
L'Ange de la Mort qui vous chuchote en aparté...

Sa philosophie issue de sa destinée,
Relatant les moments de grandes difficultés :
Famille coupée en deux en bateau transportée
Ou d'un père influent, trop tôt assassiné.
Une famille doucement décimée et Pépé
Bravant les pires tempêtes des années s'écoulant
Gardant toujours foi en Dieu, et le même élan
Pour l'Amour car point de violence et point d'épée !

Tes histoires ont somme toutes un vécu tout tracé
Des naissances et des pertes, des joies comme des douleurs
Des rires, de la musique, des larmes et puis des pleurs
Ton regard doux, tes mots dans mon enfance bercée...
Pépé, mon cher Pépé, elle te manque éperdument
Celle pour qui tu as négligé ton héritage
Tu relies chaque étoile et recrée son visage
Toutes les nuits les yeux tournés au firmament

Et même si mon coeur tourné vers toi te regarde
Je me tais, je t'observe en pensées et je prie
 Tout bas que tu retrouves ta chère aimée-Marie
Que nos visages ici bas d'un sourire se fardent !
Dans mes pires tempêtes, je continue de marcher
Je cherche la même force qui t'a toujours animé
De mes "je t'aime" silencieux qui viennent te chercher
Des "je t'aime" que je lance à ta Marie-Aimée !

Il était bon le temps des histoires de Pépé
Un doux sourire enjôleur au coin des lèvres
Des mots d'amour dont personne ne se sèvre
Déclaration enflammée ou  belles épopées !



A mon grand-père.


vendredi 24 février 2012

Oui, je suis juif (1995)


Oui, je suis juif


Je ne suis plus rien. Je ne suis plus qu’une loque, masse de chair sanguinolente à la vue de tous. Oui, j’étais juif ! Et, je me sens l’âme de l’être encore. Je suis bafoué jusque dans le ciel ; mon corps est là, n’est pas enseveli, ne le sera jamais car le sang qui coule encore est celui d’un juif.

J’étais enfant, et mon cœur d’enfant  croyait vainement qu’il vivrait comme un autre. Là, demeure toute la naïveté… et la dure raison de la vie. Mon cœur ne se doutait sûrement pas qu’il était juif jusqu’au jour où je n’ai plus revu mes frères et sœurs ni ma mère qui sanglotait sur la terre brune de sang. Même dans ces moments, grâce à mon éducation, j’avais encore mon âme, je gardais ma fierté… ma fierté de juif.

Quand on est si jeune, on croit toujours que la mort est loin. J’avais beau écouté tout ce qui se passait autour de moi, j’étais muré dans un monde pur où, comme j’en étais certain, les cœurs vivaient semblables.

Je ne me souviens pas avoir été pauvre, ni malheureux. L’unique chose que l’on me reprochait, c’était d’avoir tué le Roi des Juifs…

Je n’ai pas toujours compris cette accusation, je la souffrais à l’intérieur de moi sans jamais le dévoiler.

J’aurais préféré ne pas demeurer ici. Après la mort, quand on perd sa dignité, on en vient presque à espérer se délivrer de cette terreur pour ne plus rien ressentir. Pourtant, je suis le même enfant, toujours dans l’impression de revêtir quelqu'un.

Lui aussi, cet autre enfant qui est mort, je l’ai vu, il était avec moi, on s’est communiqué nos peurs, peurs de juifs naturellement. Il avait mon âge, même un peu moins ; il ne pleurait pas. Tandis que les larmes me perlaient si chaudes sur la joue, je le sentais mourir.

Ma vie s’est échappée à travers ce corps que je ne reconnais plus. Mais je sais que c’est le mien qui dort sur la charrette qui ne m’a permis aucun adieu à ceux que j’aimais.

                                                                                  Histoire d’un mort.

mercredi 18 mai 1994

Relations secrètes (1994)




Relations secrètes
1994

En décembre, au moment où tout le monde prépare les fêtes dans la petite ville de Méru, Thibault, professeur de français au collège du Thelle, rentre chez lui après une journée épuisante. Pressé de se réchauffer, il  court sur les trottoirs portant sa petite mallette bleue.
Professeur depuis deux ans, Thibault est aimé de ses élèves. Il arrive de Bretagne, où il est né la nuit du 24 octobre 1965 au bord de la mer. Sa mère, d’origine grecque s’était séparée d’un mari brutal et indifférent. Ce père, Thibault ne l’a pas connu. Il a vécu entouré de femmes, sa mère et ses deux sœurs aînées.

Puis, vint le moment pour cet homme de voir comment la vie était ailleurs. Après mûres réflexions, il décide à 25 ans de postuler en Picardie, région natale de son père, pour exercer dans un collège d’une ville en expansion.
Thibault, lors des ces deux années de contact avec ses élèves, avait fini par faire ses preuves et était ainsi devenu l’un des professeurs les plus appréciés du collège.

Auprès de ses élèves, Thibault est respecté et beaucoup aiment sa façon originale et simplifiée d’expliquer les règles de grammaire ou d’orthographe, si bien qu’après quelques mois de travail, les élèves avaient réussi pour une  bonne partie d’entre eux, les examens de fins d’année de troisième avec de belles mentions.

A côté de chez lui, un petit appartement rehaussé d’un escalier en colimaçon, des enfants d’une quinzaine d’années viennent en groupe pour bavarder, chanter ou lire. Ces groupes se composent de jeunes filles qui oublient volontiers leurs devoirs pour épier le jeune professeur assez séduisant. Dans ce petit groupe, une fille vraiment jolie a un air  si coquin  qu’on pourrait croire que Belzébuth s’en est  approprié le corps. Or, elle regardait presque innocemment le professeur rentrer chez lui, avec un sourire de satisfaction gêné, heureux d’être apprécié de ses élèves mais craintif de quelques harcèlements aussi naïfs qu’ils puissent être ou devenir.

Océane, fille aux cheveux noirs épais surveille attentivement Thibault à chaque fois qu’elle l’aperçoit. Quand il passe devant ce groupe, il ne peut échapper à ce regard terrible et si sensuel, qu’au fond de son cœur il ressent des déchirements. Cette petite fille, comme il préfère l’imaginer, vaut la plus belle femme du monde mais s’interdisant certaines réflexions, il coupe court à ses battements de cœur si indomptables en corrigeant les copies de ses meilleurs élèves.

Océane, assez réservée toutefois, ne parle guère ou peu. Elle est souvent là, en spectatrice. Le lendemain, seule, vers les sept heures du matin, la voici qui s’installe sur les marches de l’escalier qui mène à l’appartement de Thibault. Elle sait, pour l’avoir suivi souvent, que son professeur sort de chez lui à sept heures et demi pour se rendre au collège. Océane, se sentant finalement très embarrassée d’être aussi effrontée, prend la décision de se relever et de partir pour l’école sagement. Mais au moment même de cette résolution, la voici qu’elle tombe nez à nez avec Thibault qui la regarde étonné comprenant légèrement la situation intempestive.
-          Bonjour. S’enquit-il
-          Bonjour, monsieur.
-          Tu attendais quelque chose ?
Océane rougit furieusement, troublée et blessée dans son jeune amour propre. Thibault, mécontent lui aussi, s’essaye à être aimable mais n’y parvient que médiocrement.
-          Ne vas-tu pas au collège ? Pourquoi n’es tu pas avec tes amis ?
-          J’allais les rejoindre…
Sur ces mots, Océane se mit à dévaler les trois marches et à courir du côté opposé à son école. Thibault, frustré, ferme la porte de son appartement et en descendant les marches de l’escalier, se heurte au sac oublié d’Océane. Il se penche et le ramasse. Il cherche du regard la petite fille, pensant qu’elle s’était rendue compte de son oubli et serait revenue pour récupérer ses outils de travail scolaire.

Au collège, Thibault n’avait pas revu Océane de la journée. Il lui fallait pourtant rendre ce sac qui ne lui appartenait pas mais qui le faisait sombrer dans des réflexions profondes. Il avait envie de savoir ce qu’il contenait.

Sur le chemin qui le mène  chez lui, Thibault sent qu’Océane va revenir ou même, qu’elle l’attend déjà sur les marches de l’escalier. Il se pose alors des questions effarantes : va-t-il lui rendre son sac en lui recommandant de vite repartir ou va-t-il la faire entrer pour entamer une explication qui s’impose. Il n’est pas homme à se laisser harceler par des gamines. Il laisse faire mais n’approuve pas.
Océane l’attendait.

Thibault vient à elle mais ne sait pas quoi lui dire. Il lui tend son sac qu’elle remet sur son dos. Alors, Océane se lève d’où elle était assise et s’apprête à repartir.
-          Je voudrais te parler, Océane.
Il dit ceci d’un ton sec et presque autoritaire
-          Moi, je ne suis pas sûre de vouloir, répond-elle d’un air de défiance
-          Entre.
Océane, lève les yeux au ciel pour signifier son agacement, puis prend la résolution de suivre son professeur dans sa demeure. Thibault la mène jusqu’au salon et la fait asseoir sur l’un des fauteuils en face de lui.
-          Pourquoi venez-vous toujours rôder autour de chez moi ?
-          Comme ça, pour discuter.
-          Il y a tout de même d’autres endroits plus appropriés pour ça.
Thibault regarde Océane en se détendant légèrement.
-          Et toi, que venais-tu faire ce matin ?
Océane se renfrogne, baisse les yeux d’un air boudeur et refuse de répondre à une question qu’elle juge indiscrète. Mais Thibault, devinant les motivations de cette petite élève à présent désemparée, lui explique par quelques mots tranchants pour un pauvre cœur adolescent :
-          Il ne faut rien imaginer, Océane.
Elle lève la tête, le regard plein de doutes.
-          Comment pouvez vous dire ça ?
Au même moment, au dehors, la pluie fait son apparition. C’est alors qu’Océane, reprenant des forces grâce aux bienfaits de la nature et au soudain désappointement de Thibault, se relève du fauteuil pour marcher félinement à l’intérieur du salon, comme pour une reconnaissance.
-          Moi, j’ai le droit de vous aimer.
Thibault, tel une bête traquée, rougit, se sentant la proie de la petite diablesse doucereuse. Océane, se détournant, fixe son regard dominant sur son professeur devenu impuissant.
-          Je vais te raccompagner chez toi, il commence à se faire tard, dit-il pour se sauver d’une situation délicate.
La jeune fille ne parlant plus, se campe sur la table du salon.
Thibault, inquiet, se met à farfouiller ses poches sans avoir une réelle intention d’y trouver quelque chose.
-          Je vais te chercher une veste, attends-moi ici.
Lui sorti, Océane en profite pour se diriger vers les escaliers de la mezzanine et doucement les monte. Arrivée en haut, elle retire ses chaussures et se glisse dans le lit refroidi du matin.
-          Océane ! crie Thibault exaspéré
-          Je suis là ! souffle une petite voix
-          Arrête de faire la petite fille, descend maintenant et vite !
-          Non !
-       Il est tard Océane. Fais en sorte que je ne sois pas obligé de monter te chercher car je commence à trouver que tu exagères et ma patience s’épuise !
-          Ce n’est pas la peine de me parler sur ce ton là ! ça va je descends…
Au lieu de descendre, Océane se met à déboutonner sa jupe et à enlever sa veste grise. Thibault, inquiet et vert de colère, appréhendant le pire, monte les escaliers rapidement et voulant la gifler, sa main reste en l’air se rappelant sa position délicate due à sa profession et son âge. La petite étant chez lui, il n’aurait pas été convenable de faire du grabuge. Il  sait combien les enfants peuvent être impitoyables lorsqu’ils se sentent trahis.
-          Vous voulez me frapper ?
-        Non. Je veux que tu te rhabilles pour que je puisse te ramener chez toi. Tu ne rends pas compte de ce que tu me fais ? Imagine un peu que quelqu’un nous voit comme ça ?
Pour toute réponse, Océane baisse les yeux et se met à rire ce qui exaspère encore davantage  Thibault qui lui hurle :
-          Tu veux que j’aille en prison ?
Cette question fait sursauter la jeune fille qui se ne rendait pas compte de ses actes jusqu’ici. Une larme inespérée tombe de ses yeux.
-          Tout ce que je te demande, Océane, c’est de t’en aller et ne plus m’embêter. Tu comprends que j’ai des responsabilités... énormément...!
-          Vous n’avez qu’à être moche !
Thibault sourit.
-          Excuse-moi... Allez, fais ce que je te demande ; sois gentille !
Tout en se rhabillant, Océane demande :
-          Pourquoi vous ne voulez pas m’aimer ? C’est à cause de la différence d’âge ? Mais vous savez j’ai quand même quatorze ans !
-          Et moi, j’en ai presque le double… Comment veux-tu que… que je…
-          Que vous couchiez avec moi ?
Thibault rit nerveusement.
-          Bon, faut que je te ramène chez toi.
-        Il n’est pas si tard,  je peux rentrer seule. Il ne faudrait pas qu’on nous voie ensemble, ça pourrait jaser !


Une fois partie, Thibault rougissant encore de la mauvaise posture dont il venait à peine de sortir, arpente le salon et subitement s’assoit dans son fauteuil.

De son côté, la petite Océane, sur le chemin trempé, loin de la ramener par chez elle, s’abandonne à des réflexions les plus profondes et mesure enfin la dimension de l’inquiétante situation d’où elle venait de mettre son jeune professeur. Tout au long de la route, elle sent ses joues s’empourprer d’une honte infaillible et soudain, la petite fille blessée se met à détester cet homme qui a si lâchement repoussé ses avances. Par désir de se venger ou par peur de le revoir, Océane décide de ne plus venir aux cours de français, plus jamais.

Les jours suivant l’incident passé, la vie reprend son cours mais les choses au fond avaient changé. Thibault se refuse à croire que son élève reste absente à cause de lui. Cependant, un midi, dans la cour, il l’aperçoit, seule, assise sur un banc.
-          Elle vient au collège tout de même ! se dit-il.
Triste au fond du cœur, le professeur rentre chez lui mais pour ne penser que davantage à la petite sauvageonne si effrontée. Il s’assoit dans son fauteuil et fume  cigarette sur cigarette, le regard divaguant, ignorant totalement les dernières copies à corriger. Le moindre bruit de la maison lui donne à penser qu’Océane est derrière la porte d’entrée et que c’est elle qui frappe.
-        Mais que me fait cette gamine ? Qu’est-ce qu’il m’arrive ? se met à maugréer Thibault, qu’ai-je donc fait pour mériter cela !
Tout ceci demeure sans réponse dans son esprit.

Un samedi, vers 17h, Thibault se balade dans un quartier calme et retiré de la ville, afin de calmer ses nerfs, mis trop souvent à bout depuis quelque temps. Inquiet et inélégant ce jour-là, il se reproche d’avoir usé de tant de sévérité envers Océane, une petite fille au cœur trop sensible comme toutes les petites filles… comme toutes les femmes…

Désappointé,  il s’imagine qu’elle le prend à présent  pour la pire des ordures de l’avoir traitée ainsi, refusant sans chaleur l’amour qu’elle osait lui témoigner.
-          Non, réfléchit-il, ce n’est plus une petite fille. Elle devient une femme… Ses réactions de femme sont normales…
S’asseyant sur un banc à proximité d’un lac, Thibault fixe le paysage ; son regard s’arrête à un tout jeune arbuste. Pensant toujours à sa situation, il ne s’entend pas prononcer d’une voix claire et pesante comme un reproche destiné à Océane et un blâme envers lui-même :
-          Réactions normales… mais elle n’a qu’à aimer des jeunes gens de son âge ! Elle ne peut pas me demander de l’aimer !
-          Vous parlez de moi ? siffle d’une voix menue Océane qui s’était approchée du banc sans faire de bruit.
Contrarié et ému, Thibault se retourne et aperçoit le visage enjoué de la petite harceleuse. A l’inverse, son regard d’homme outragé jusqu’à l’insulte se rembrunit sérieusement. Peur de céder, peur de tout, peur d’elle : peur réelle et inimaginable. Il avait peur de l’aimer déjà.

-          Bonjour, monsieur.
Thibault réalise au fond de lui-même qu’il est tombé amoureux de son élève et cherche un moyen d’être le plus intolérable possible avec elle.
-          Que fais-tu là ?
-          Mais nous sommes en pays libre, monsieur, et comme vous, je me balade.
Océane, souriant maintenant malicieusement, met une main sur le genou du professeur afin de lui ôter tous moyens d’être désagréable avec elle, et surtout pour l’intimider. C’était lui prouver qu’elle avait fini d’être une enfant.
-          Vous comptez me rejeter encore une fois ?
Thibault prend à présent le temps de la regarder ; de voir la couleur de ses yeux, l’épaisseur de ses cheveux noirs, le cou fin et blanc, les oreilles dégagées ornées de jolies créoles. Il sort une cigarette de son paquet, nerveusement, en propose une à Océane, se ravise et lui répond :
-          Non, ne crains rien.
-          Arrêtez de me dévisager, je vais finir par croire que je vous plait.
Son regard changeant d’expression, presque intimidée elle risque :
-          On serait peut être mieux chez vous…
Elle dit cela d’une voix faible, presque rauque et suave en même temps. Il n’y avait plus de doute à avoir ; c’était bien une femme dés lors. Quelle tentation irrésistible !

Océane, cette fois, le tenait serré dans son filet, l’empêchant d’en sortir ; il était à elle et elle n’avait pas peur.
-          Petite garce ! Quelle honte pour moi de t’aimer !
Thibault, fou de rage et d’amour l’emmène jusque chez lui pour oublier son âge à elle, sa profession à lui, ses engagements, sa faute toute entière, vile et méprisable. Il l’a veut, il l’a prendra et l’avenir dira le reste. Il s’est trop privé durant sa vie, menant un parcours irréprochable pour prouver à sa mère que tous les hommes n'étaient pas tous incapables... Mais, à cet instant, il ne pense qu'à dépuceler  cette petite Belzébuth et personne ne fera rien pour l'en empêcher !

Dans l’appartement, tout semble différent au regard d’Océane. Perdant d’un coup l’assurance qu’elle avait dans le parc, elle comprend que Thibault ne compte en aucun cas décliner l’invitation qu’elle a elle-même imposé. Il l’a considère désormais en femme, et entend qu’elle agisse ainsi.

Elle ne sait si elle doit regretter son geste et ses pensées car l’heure de devenir une vraie femme a sonné pour elle et cette fois-ci, c’en est fini des caprices et des enfantillages. Elle va apprendre à jouer dans la cour des grands.

Thibault, perdant toute raison et toute logique, s’enferme dans un univers amnésique où ce qui  compte le plus à l’instant, c’est le corps intouché encore de sa jeune proie toute disposée à l’amour. Du moins, le croit-il, ne sentant ni la peur et l’appréhension de la jeune fille devenue faible et sans réaction quant aux baisers brûlants et insoumis que lui prodigue son professeur. Il l’a débarrasse en un rien de temps de son blouson ; la pousse doucement et la fait s’appuyer contre le mur tout en l’embrassant. Lentement, Océane se sent dépouillée de tout son être sans oser ouvrir les yeux, ni crier le malaise grandissant au fond d’elle, tel un incendie commençant à se propager dans son corps.

Nue, honteuse de l’être, pudique, elle tente de se cacher imperceptiblement. Des larmes de détresse coulent de ses yeux et mouillent ainsi d’une eau salée les lèvres avides de Thibault qui se réveille soudain de son amnésie.
-          Je t’ai fait mal ? demande t-il confus.
Se dégageant de son étreinte, Océane s’éloigne apeurée, tremblante, désarmée et s’accroupie derrière le fauteuil pour cacher sa nudité.  Thibault réalise son erreur sans toutefois englober dans son esprit tous les problèmes de cette relation, la tête encore trop lourde et le cœur défaillant d’envie.
-          Mais qu’est-ce que tu as ?
Comme choquée, Océane se refuse à répondre. Elle ferme les yeux et pleure toujours la tête sur ses genoux.

Thibault, finissant par ne plus avoir l’esprit clair, la laisse pleurer et s’assoit sur le fauteuil en face sans la regarder. Il se remet à raisonner intérieurement.
-          Qu’est-ce que j’allais faire ? Mais je suis complètement fou d’avoir céder à une tentation aussi peu prudente. Où cela va-t-il me mener ? Je vais aller en prison pour abus sur mineure.
Il pose  un regard affligé sur la petite fille puis se remet à réfléchir de nouveau.
-          J’ai connu quelques femmes dans ma vie mais… mais toi Océane, tu es une enfant magique et délicieuse,  je l’admets… mais je suis trop vieux pour toi et je vais contre la loi…

Océane  relève la tête et aperçoit le visage défait, plein d’émotion et de remord de son professeur. Son désarroi semble aussi grand que sa honte et son dégoût pour lui-même.

Thibault se lève enfin de son fauteuil, va chercher dans sa chambre, en silence, une couverture pour Océane, afin qu’elle s’y enveloppe pour cacher ses jolies formes qui l’attirent irrésistiblement encore. Il se force à ne pas la regarder. Toutefois, Océane, se relevant, lui prend une main et dit dans ses sanglots :
-          Pardonnez-moi…
Lui, fâché surtout contre lui-même montre son désappointement.
-          Ne t’excuse en aucun cas, Océane. Tout est de  ma faute ; j’aurais dû me contrôler.

Elle, se sentant à la fois responsable et heureuse de rester une enfant, se met à suivre Thibault dans la cuisine.
-          Qu’allons-nous faire ? demande t’elle d’une voix presque angélique.
-          Tu vas boire un chocolat chaud et partir d’ici très vite avant que je ne redevienne une bête !
Océane sourit gentiment.
-          Je vous pose beaucoup de problèmes. Je suis désolée de vous en causer de si grands.
Lui, rassuré par le ton qu’emploie à présent Océane se risque à demander :
-          Tu peux garder cette histoire rien que pour toi ?
Elle, toute rougissante, pointe son nez vers le bas, humiliée.
-          Sans doute, souffle t’elle.
-          Il faut que je sois sûr, Océane ; à cause de cette histoire, je peux aller en prison ! Tu t’imagines un peu le risque que tu m’as fait prendre ?
Hors d’elle, Océane se lève brusquement de sa chaise.
-          Vous n’aviez qu’à vous contrôler, vous l’avez dit vous-même !
Thibault sourit ironiquement, se mordant les lèvres au sang pour éviter de lui tordre le cou.
-          Tu te fiches pas mal de ma vie, de mon honneur… ou du peu qui m’en reste !
-          Ne me criiez pas dessus ! dit-t-elle se rasseyant au bord des larmes.

Thibault ne supporte plus la position désavantageuse que lui laisse Océane. De nouveau impuissant, il avance vers elle et la prend dans ses bras comme un protecteur ami et non en tant qu’amant.
-          Je vous promets que je garderai le secret.
Presque heureux, Thibault se permet de l’embrasser sur le front.
Après ceci, il était naturel et nécessaire qu’Océane s’en aille de chez lui.

Le soir même, Thibault prend son courage à deux mains pour appeler sa mère en Bretagne, pour lui apprendre qu’il revient chez lui, auprès de sa famille. Eperdument reconnaissant du silence qu’il obtiendrait de son élève, il ne veut cependant pas tenter le diable et dépose sa démission au collège du Thelle afin d’éviter tout drame.

Thibault, de retour dans la maison qui l’a vu naître, se promet de ne plus jamais mettre les pieds en Picardie et d’oublier de surcroît son père, dont il voulait retrouver les racines, mais qui l’a abandonné sans honte ni reproche.

Unique difficulté pour le jeune professeur : oublier ce visage enfantin et ces cheveux épais et brun de la petite Belzébuth qu’il avait connu un jour…