vendredi 24 février 2012

Oui, je suis juif (1995)


Oui, je suis juif


Je ne suis plus rien. Je ne suis plus qu’une loque, masse de chair sanguinolente à la vue de tous. Oui, j’étais juif ! Et, je me sens l’âme de l’être encore. Je suis bafoué jusque dans le ciel ; mon corps est là, n’est pas enseveli, ne le sera jamais car le sang qui coule encore est celui d’un juif.

J’étais enfant, et mon cœur d’enfant  croyait vainement qu’il vivrait comme un autre. Là, demeure toute la naïveté… et la dure raison de la vie. Mon cœur ne se doutait sûrement pas qu’il était juif jusqu’au jour où je n’ai plus revu mes frères et sœurs ni ma mère qui sanglotait sur la terre brune de sang. Même dans ces moments, grâce à mon éducation, j’avais encore mon âme, je gardais ma fierté… ma fierté de juif.

Quand on est si jeune, on croit toujours que la mort est loin. J’avais beau écouté tout ce qui se passait autour de moi, j’étais muré dans un monde pur où, comme j’en étais certain, les cœurs vivaient semblables.

Je ne me souviens pas avoir été pauvre, ni malheureux. L’unique chose que l’on me reprochait, c’était d’avoir tué le Roi des Juifs…

Je n’ai pas toujours compris cette accusation, je la souffrais à l’intérieur de moi sans jamais le dévoiler.

J’aurais préféré ne pas demeurer ici. Après la mort, quand on perd sa dignité, on en vient presque à espérer se délivrer de cette terreur pour ne plus rien ressentir. Pourtant, je suis le même enfant, toujours dans l’impression de revêtir quelqu'un.

Lui aussi, cet autre enfant qui est mort, je l’ai vu, il était avec moi, on s’est communiqué nos peurs, peurs de juifs naturellement. Il avait mon âge, même un peu moins ; il ne pleurait pas. Tandis que les larmes me perlaient si chaudes sur la joue, je le sentais mourir.

Ma vie s’est échappée à travers ce corps que je ne reconnais plus. Mais je sais que c’est le mien qui dort sur la charrette qui ne m’a permis aucun adieu à ceux que j’aimais.

                                                                                  Histoire d’un mort.